Je suis allongée sur mon lit, la tête confortablement réhaussée par deux gros oreillers, Maguy postée sur mon ventre et ses ronronnements qui chatouillent mon cou.
Je regarde autour de moi, mes doigts perdus dans le pelage si doux, et me ré-approprie peu à peu meubles, objets et souvenirs de la pièce qui m'entoure.
Il s'est passé tant de choses en l'espace de quelques semaines.
Je me souviens du vide qui s'est immiscé en moi. De la décision qui s'est imposée d'un coup d'un seul et du soulagement que j'en ai retiré. Je me souviens avoir fait calmement mes bagages, rassemblant méthodiquement tout ce qui avait fait mon été parisien pour être sûre de ne rien oublier. Je me souviens avoir passé deux coups de fil et ai été surprise de l'apaisement ressenti par mes interlocuteurs.
Je me souviens aussi des fous-rires échangés avec mon vrai double alors qu'on traînait derrière nous ces deux grosses valises témoins de mon besoin de remplir autrement la vacuité d'une relation fânée. Je me souviens des escaliers, des sourires échangés avec des inconnus qui nous prenaient chacune une anse, nous évitant le risque de nous faire entraîner par le poids de mes erreurs passées. Je me souviens avoir compris ici la vraie valeur du mot dévouement, alors que je la regardais me suivre dans ma fuite organisée, dans une rame de métro entre deux changements.
Je me souviens de l'accueil d'un couple adorable, de nos discussions jusqu'à tard le soir, d'une choucroute d'enfer, d'avoir appris ce qu'est un auditeur avec des bouteilles d'Evian et du lit qu'ils m'avaient installé dans leur salon si bien décoré.
Je me souviens aussi des premières nuits. De l'égrénage alangui des heures en chiffres rouges sur le boîtier free, du glissement léger des chaussons sur le parquet de l'appartement du dessus, du vent qui soufflait dans les volets et de mes rêves perturbés. Je me souviens aussi de ma surprise face aux larmes qui m'accueillaient le matin, sous la douche préférentiellement, alors que je me réchauffais l'âme en oubliant ma fatigue.
Je me souviens surtout des éclaircies qui venaient peu à peu illuminer ma journée : mes collègues adorables qui trouvaient les mots justes pour me faire rêver à nouveau, la douceur du regard de Roxane quand je lui livrais un sanglot, les SMS et autres coups de fil réconfortants qui venaient peu à peu panser cette blessure interne.
Je me souviens de l'expédition le jour J. De mon soulagement une fois mon chat récupéré et tous les trousseaux de clés bien glissés dans leur boîtes aux lettres respectives. De ce dernier tour en taxi dans Paris, alors que le soleil timide éclairait d'une jolie lumière les bâtiments chargés d'histoire. De mon dernier jour et de mes aurevoirs à cette rue, ma rue, rue de Sévigné, ainsi qu'à ses occupants attachants. Je me souviens d'elle encore, toujours là pour moi et bien décidée à me le montrer, me confiant au train qui me ramènerait aux sources, sa belle chevelure aux reflets caramel et son sourire dans l'effusion de la Gare de Lyon un vendredi soir.
Je me souviens enfin du soulagement ressenti en apercevant une silhouette si familière, courbée en deux pour tenter de m'apercevoir parmi les passagers. De sa joie de m'avoir rien que pour elle, de nos péripéties sur le chemin du retour et des sensations de conduite oubliées quand je retouchais à nouveau à un volant pour la soulager. Je me souviens des repas garguantuesques, des balades en forêt, des confessions peu catholiques et de nos rires mélangés. Je me souviens de mon air embêté quand elle informait tout son entourage de mon changement de statut, sa fierté quand elle me présentait à toute l'équipe du folklore et son affairement pour le voyage que nous préparions.
Mais je me souviens surtout de la jouissance extrême ressentie alors que je montais pour la première fois sur le petit tracteur-tondeuse, de mes relans d'enfance sucrée à la ferme, du potager et ses merveilles, de la cueillette des haricots comme des oignons rouges, de l'air frais enfin, qui venait oxyder mon coeur pollué.
Et la peine qui s'allège peu à peu, les horizons nouveaux d'une vie sans préméditations, l'amour unique qui se retrouve divisé mais aussi décuplé. La confiance qui renaît dans le trouble d'un regard masculin et les mots doux, toujours, d'un entourage précieux. Le plaisir aussi, d'une folie routière, d'un dépassement de soi, d'une symbiose avec l'eau lors d'un bain sans témoins au sein d'un hôtel étoilé. Ma première course, 6 km, l'expérience nouvelle de courir sur sable mouillé, les encouragements de la foule, les sourires épuisés partagés avec deux amies de la bloguosphère.
Puis vient aussi le grand retour, ma silhouette chargée dans le hall de la gare de Nice, la reprise tranquille d'un quotidien passionnant, me permettant de soigner profondément la blessure devenue fine cicatrice. Les retrouvailles d'avec les copines et les nouvelles rencontres aussi.
Les étapes d'une renaissance sont passionnantes. Brutales parfois mais aussi très douces par moment, et on comprend à travers elles toute la richesse qui fait la vie : la promesse d'un renouveau encore plus fort, la reconstruction importante de tout ce qui fait soi et les moments qui ne s'écrivent qu'entre parenthèses, à l'instant où on ouvre une portière et qu'une main nous rattrape pour nous faire goûter à des sentiments oubliés ...